À travers cette nouvelle Chronique, je lève le voile sur un savoir-faire insoupçonné de la Manufacture G&F Châtelain, bras horloger de la célèbre marque Chanel ! Bien que nous connaissions tous (ou presque tous) Gabrielle Chanel, la femme au caractère bien trempé et créatrice de mode éponyme de la marque de Haute-Couture, il me semble que son savoir-faire horloger (et quel savoir-faire !) est très souvent méconnu. Après avoir eu la chance de pénétrer au cœur de la division horlogère de Chanel, c’est-à-dire dans les murs mêmes de la Manufacture G&F Châtelain à La Chaux-de-Fonds, je vous livre dans cette chronique quelques secrets bien gardés qui vous feront peut-être changer votre vision de l’horlogerie Chanel.
La manufacture G&F Châtelain
Dans mon introduction, j’ai volontairement associé les noms de Chanel et G&F Châtelain. Deux noms différents et pourtant, une seule et unique maison ! Alors qu’est-ce que la Manufacture G&F Châtelain et pourquoi ne s’appelle-t-elle pas tout simplement la « Manufacture Chanel » ?
Petit retour historique sur l’histoire de la manufacture et le lien qui unit celle-ci à Chanel.
G&F Châtelain comme Georges et Francis Châtelain, deux frères qui, en 1947 décident de créer une manufacture et de se spécialiser dans la terminaison de mouvements, le travail sur des pièces en or et autres savoir-faire à la fois horlogers et joailliers.
Depuis sa création, la manufactura n’aura cessé de se développer en diversifiant ses savoir-faire toujours orientés vers la satisfaction de sa clientèle horlogère (développement des compétences dans les techniques de polissage pour affirmer son savoir-faire dans la terminaison des boites et des mouvements, diversification de son appareil de production vers un outillage de précision et de nouvelles technologies d’étampage, fabrication de bracelets métalliques, …).
En déposant en 1967 le poinçon de maître « C », la Manufacture G&F Châtelain assume sa réputation d’acteur du marché prêt à défendre un Label de qualité de bienfacture et de précision.
Jusque dans les années 80, la Manufacture G&F Châtelain assied sa position de maître d’œuvre de l’intégralité des produits horlogers qui lui sont confiés par une clientèle exigeante, dont la société Chanel. En 1987, la Chanel Première voit le jour. Première montre proposée par la marque de Haute-Couture, et dont les origines auront donné l’inspiration au nom du modèle (Première comme la « première d’atelier »).
La magnifique Carole Bouquet portant la montre Première de 1987
Ce partenariat et ce rapprochement engendre quelques années plus tard, en 1993, le rachat de la Manufacture G&F Châtelain par la société Chanel.
Chanel, protectrice de savoirs faires artisanaux
En rachetant la manufacture G&F Châtelain en 1993, Chanel a laissé à la fois sa raison sociale à la manufacture, mais aussi et surtout sa liberté d’action et sa personnalité. Ainsi, Chanel devient propriétaire mais aussi protectrice de ce savoir-faire horloger.
En agissant ainsi, Chanel n’en est pas à sa première opération du genre. En effet, à travers sa filiale Paraffection, Chanel rachète dans un objectif de sauvegarde et de conservation du patrimoine artisanal français, de nombreux savoir-faire dans les domaines de la peausserie (le gantier Causse, le bottier et « Maître d’art » Massaro), de la broderie (Lesage), et autres métiers d’art liés à la Haute-Couture (Desrues, Lemarié, Michel, Guillet, …). Dans tous les cas, chaque entreprise conserve toujours son nom, sa liberté créative et son identité.
Chanel ne restreint pas cette dynamique au seul savoir-faire français, notamment en faisant l’acquisition de la Manufacture G&F Châtelain, mais en prenant également des parts dans les sociétés de Haute-Horlogerie Romain Gauthier et F.P. Journe. Mais également dans son lien très fort avec la manufacture Kenissi dont nous parlerons un peu plus loin…
Chanel, une véritable légitimité horlogère
L’univers horloger est très dur et toujours extrêmement critique lorsqu’il s’agit d’accueillir de nouveaux acteurs sur le marché. Souvent parle-t-on de légitimité horlogère ou de crédibilité. Mais quels sont les critères qui permettent de dire si une entreprise horlogère est légitime ou crédible ?
Dans le cas de Chanel, si la légitimité se trouve dans un savoir-faire de longue date, alors oui, Chanel est totalement légitime car c’est plus de 75 ans d’expertise et de développement perpétuel dans le domaine de l’horlogerie dont jouit l’entreprise à travers la Manufacture G&F Châtelain.
Crédible ? Il suffit de jeter un œil (et même à la loupe) au travail de précision qu’offrent les ateliers de Romain Gauthier et de François-Paul Journe pour admettre qu’en termes de qualité de conception et de finitions horlogères, Chanel s’est associée aux meilleurs dans leur catégorie.
Mouvement Romain Gauthier
Mouvement F.P. Journe Anniversaire
Lorsque Chanel présente en 2015 sa Monsieur de Chanel équipée de son premier calibre in-house, le Calibre 1, c’est une montre absolument somptueuse que la marque a décidé de proposer. Un mouvement technique avec une grande heure sautante à 6 heures, une petite seconde au centre et une minute rétrograde sur 240 degrés ! Excusez du peu, mais techniquement, nous avons un mouvement hors du commun aussi bien dans ses spécifications que dans ses finitions. Jugez par vous-même !
Monsieur de Chanel et son Calibre 1
Chanel, créatrice d’icônes
La Chanel Première, lancée en 1987, dont le design s’inspire de la place Vendôme à Paris, est une montre dont l’identité visuelle est devenue une icône dans l’horlogerie pour dames. A la fois sobre et discrète, cette montre est la quintessence de l’élégance féminine. De 2017 à 2019, Chanel rafle 3 années de suite le Grand Prix d’Horlogerie de Genève dans la catégorie « montre dame ». Savoir-faire horloger et raffinement sont les attributs de cette icône !
En 2000, c’est une nouvelle icône qui voit le jour grâce à la J12, une montre au design reconnaissable au premier coup d’œil en céramique haute résistance. D’abord présentée en céramique noire, puis 3 ans plus tard dans une céramique d’un blanc pur. En effet, il aura fallu 3 ans à la manufacture (qui maîtrise entièrement le processus de production de la céramique en interne) pour développer un blanc parfait.
20 ans plus tard, la J12 est redessinée pour accueillir un nouveau mouvement et intégrer les dernières évolutions techniques liées à la céramique, permettant à la nouvelle J12 d’être encore plus résistante et plus précise !
Désormais, un tout nouveau calibre équipe ces nouvelles J12 : Le calibre 12.1 né de la collaboration avec la maison Rolex et Tudor pour donner vie à Kenissi, une toute nouvelle manufacture horlogère dans laquelle Chanel possède une participation significative.
D’un point de vue horloger, ce mouvement est extrêmement bien conçu, aux finitions sablées que certains jugeront trop simple. À la loupe, il n’a rien de simple, il est surtout très propre et le choix d’une telle finition démontre un choix d’état de surface élégant et raffiné car sobre. La masse oscillante ajourée est encore un clin d’œil à la symbolique Chanel du jeu de cercles dans le cercle, et permet d’en admirer le mouvement.
Ces chroniques étant les chroniques d’un horloger, je vous propose de nous attarder maintenant sur ce mouvement Chanel 12.1 et tout l’univers qui l’entoure !
Chanel, acteur de l’ombre mais acteur central d’un projet hors du commun
Dans cette partie véritablement horlogère, j’aimerais vous livrer l’histoire méconnue de la genèse de ce projet. Une histoire inconnue, et c’est probablement une exclusivité que nous vous livrons aujourd’hui !
Pour qui s’intéresse de plus près au calibre manufacture Chanel 12.1, aura forcément entendu parler de la manufacture Kenissi (que j’ai cité un peu plus haut). Alors la manufacture Kenissi, qu’est-ce que c’est ? Présentée comme le bras industriel de Tudor, la manufacture Kenissi est une manufacture fondée en 2016 et située au Locle dans le but de produire le tout nouveau mouvement développé par Tudor et équipant ses montres depuis 2015.
Développé par Tudor ? Oui, mais…
Cette histoire est fascinante. Pour celles et ceux qui n’ont pas forcément suivi l’histoire qui fut l’impulsion de toute cette aventure, il faut se rappeler qu’en 2013 (ou plus tôt ? on s’y perd avec le temps !), le Swatch Group a annoncé une nouvelle politique de distribution de ses mouvements. Toute une série de rebondissements qui ont bouleversé l’industrie horlogère, poussant certains acteurs à chercher des alternatives aux mouvements proposés par ETA (appartenant au Swatch Group). Parmi ces acteurs, Tudor. Et Chanel.
Tout a commencé par un coup de téléphone entre une poignée de personnes, présentant et expliquant de façon assez discrète le projet : « Alors, vous en êtes ? ». Dans cette poignée de personnes, nous dirons 4 ou 5 pour rester vague et ne citer personne, il y avait des représentants de Rolex, de Tudor et… de la manufacture G&F Châtelain !
Un projet top secret dont absolument personne n’avait la moindre idée de l’existence. Une poignée d’agents secrets se rencontrant en terrain neutre, de façon confidentielle, ni chez l’un, ni chez l’autre, œuvrant dans l’ombre pour développer en secret ce qui deviendra quelques années plus tard, en 2015, le tout premier mouvement que nous connaissons sous l’appellation MT5621 qui équipera la montre Tudor Northflag, et plus tard Kenissi.
C’est en 2019 que Chanel prend officiellement des parts dans la manufacture Kenissi, surprenant une grande partie de l’industrie horlogère qui ignorait probablement qu’elle était à l’origine de ce projet.
Alors ? On parlait plus haut de légitimité et de crédibilité ? On en reparle maintenant ?
Chanel est devenu au fil des années non seulement un acteur majeur de l’industrie horlogère avec une offre innovante et l’utilisation (et la maîtrise) de matériaux techniques tels que la céramique, mais aujourd’hui, un acteur central à travers cette aventure extraordinaire qui a donné naissance à un nouveau mouvement dont l’avenir semble absolument fantastique !
Focus sur le calibre 12.1 de la maison Chanel
Le calibre 12.1 de la maison Chanel est un calibre fonctionnant à la fréquence de 4 hertz (28 800 alternances/heure), présentant une autonomie de 70 heures de durée de marche et dont la précision affiche des performances chronométriques certifiées par le COSC (soient une marche moyenne comprise entre -4 sec/+6 sec par jour.
Ce mouvement équipe actuellement les nouvelles J12 en 38mm. Depuis peu, une version aux dimensions contenues équipe les nouvelles J12 en 33mm sous l’appellation de calibre 12.2 ! Chanel élargit ainsi son offre en montres automatiques équipées de leur calibre maison.
Chanel et la Manufacture G&F Châtelain : Une horlogerie à la pointe
A l’origine de cette chronique, il y a une visite au cœur de la manufacture G&F Châtelain. Ce type de visite est assez rare, et c’est avec un sentiment privilégié que je me suis abreuvé de tout ce que j’ai pu y découvrir. Notamment dans tout le processus de conception, jusqu’aux différents tests que subissent les montres une fois leur conception validée.
Département R&D : Bureau technique et prototypie
Les studios de création d’Horlogerie se trouvent à Paris sous la direction d’Arnaud Chastaing. Lorsqu’une nouvelle montre est créée : un dossier comprenant un cahier des charges marketing et design est constitué à Paris, puis envoyé au bureau technique à La Chaux-de-Fonds.
Un premier prototype esthétique est créé par impression 3D, afin de valider avec la création les premiers rendus. A l’issue de cette étape, c’est un véritable dossier technique qui voit le jour, reprenant absolument tous les éléments nécessaires : Les éclatés, les types de finitions, les dimensions, les matériaux, etc.
Chaque élément est mis en validation par chaque corps de métier (horlogers, sertisseurs, etc.), car chaque décision esthétique, chaque choix, pourra avoir un impact technique (résistance, étanchéité, etc.). Le service après-vente (SAV) est intégré au processus de développement, car G&F Châtelain ont compris que l’expérience et les feedbacks du SAV et des retours du marché sont très importants !
Une série 0 (zéro) voit le jour et va subir les tests d’homologation que nous avons découverts ensuite.
Laboratoire de tests d’homologation
Ce laboratoire interne a été développé par la manufacture avec pour objectif de tester, sinon toutes, au moins le maximum de situations qu’une montre Chanel pourrait rencontrer, dans le but d’être capable d’y faire face évidemment.
5 pôles de tests attendent les montres Chanel : Un pôle chocs, un pôle climatique, un pôle magnétique, un pôle vieillissement et un pôle expertise.
A travers chacun de ces pôles de test, la montre va subir des contraintes de tout ordre. Ainsi, des simulations de chutes ou de chocs à répétition vont être soumis à la montre, qui devra, à l’issue de ses tests, présenter un fonctionnement optimal.
Simulation d’un environnement critique (température, taux d’humidité, exposition aux UV, à un environnement salin, etc.) ainsi qu’à l’usure simulée par des frottements ou encore plus impressionnant : la simulation de la sueur humaine, avec plusieurs sortes de sueur synthétiques dont la composition varie en fonction du type de sueur (Europe, Afrique, Asie, …). Rien n’est laissé au hasard pour s’assurer de la résistance des montres Chanel !
Les nombreux autres pôles de tests vont mettre sous contrainte la montre, son bracelet et même son écrin. Tous les tests d’homologation réalisés permettent aux montres Chanel de répondre aux standards de l’horlogerie. C’est plus de 3000 cycles (tests) que subissent les montres qui entrent dans ce laboratoire, soient 24000 heures de test au total ! Impressionnant n’est-ce pas ?!
Fabrication des éléments métalliques
Sur le parcours de notre visite, nous entrons dans des couloirs où l’odeur de graisse se fait de plus en plus forte. Nous approchons évidemment des énormes décolleteuses et autres CNC (machines à commande numériques) dont la manufacture est pourvue.
Au sein de la manufacture G&F Châtelain, le travail sur les machines à commande numérique telles que la magnifique décolleteuse Mazak qui nous est présentée, est un élément dont l’importance est fondamentale. Les techniciens qui travaillent sur ces machines doivent être régulièrement formés pour maîtriser aussi bien la programmation que la maintenance de ces machines à plusieurs centaines de milliers de francs (voire millions…).
Atelier de sertissage
Le sertissage, c’est l’art de sertir une pierre sur une pièce métallique. C’est aussi un savoir-faire majeur que la Manufacture G&F Châtelain peut se vanter de posséder et même plus, d’en avoir une véritable maîtrise et expertise ! Grâce à une équipe de gemmologue en interne, l’atelier de sertissage a également la capacité de faire des retouches de pierres en interne.
Dans l’atelier de sertissage, un objectif : mettre en valeur une pierre précieuse pour une pièce horlogère et/ou joaillière.
95% des sertissages en horlogerie sont réalisés en interne à la manufacture G&F Châtelain. Aucun sertissage n’est réalisé de façon mécanique, tout est serti à la main, qu’il s’agisse de sertissage à préparation mécanique (usinage industriel pour préparer la partie à sertir), de sertissage traditionnel (préparation et sertissage sont réalisés à la main) ou de sertissage martelé, également appelé « haute-joaillerie » (avec les techniques de sertissages les plus prestigieuses).
La céramique Chanel
Un des atouts de la manufacture G&F Châtelain repose dans son expertise dans la production de sa propre céramique. La céramique est un matériau très dur et très léger, ce qui présente de nombreux avantages pour l’horlogerie. D’autres avantages tels que ses propriétés amagnétiques en font un matériau idéal lorsqu’il est correctement façonné.
Il existe plusieurs types de céramiques en fonction du matériau de base employé. Par céramique, on peut penser à la vaisselle (porcelaine), aux sanitaires, ou aux radars qui utilisent des céramiques aux propriétés piézoélectriques (applications en images échographiques). Dans l’horlogerie, on emploie des céramiques à base d’oxyde de zirconium ou d’oxyde d’aluminium. La manufacture G&F Châtelain a fait le choix de l’oxyde de zirconium pour ses propriétés esthétiques après polissage, offrant de magnifiques reflets nacrés.
La production de céramique repose sur 4 étapes clefs : La fabrication du feedstock, le moulage par injection, le déliantage et le frittage. Dans un article des Chroniques de l’horloger dédié à la céramique Hublot, je reprends très en détail le processus complet de fabrication et je vous invite vivement à aller y jeter un œil si ce n’est pas déjà fait.ICI
Ce qu’il faut retenir sur la particularité de Chanel vis-à-vis de la céramique, c’est qu’en plus de maîtriser le processus de fabrication de A à Z, l’intégralité de la production est réalisée en interne, jusqu’à la confection de la poudre en amont de la fabrication du feedstock pour s’assurer de la pureté de ce composant-clé !
Le résultat final est une carrure en céramique prête à accueillir les superbes mouvements 12.1 dont nous parlions plus haut !
Chanel, une manufacture horlogère complète
C’est ici que je termine cette chronique, après vous avoir rendu compte de ma visite au sein de la Manufacture G&F Châtelain, et vous avoir livré une vision différente de la maison Chanel. De son importance dans l’industrie horlogère, par son rôle central mais également au travers des magnifiques produits que la marque propose, il me semble que la maison Chanel est une manufacture horlogère complète (et probablement plus que nombreux de ses concurrents).
Chanel est une marque admirable, son savoir-faire horloger n’est, me semble-t-il, plus à démontrer, maîtrisant absolument tous les aspects de la fabrication d’une montre, de sa conception esthétique à la production du mouvement et de ses carrures. Quant à l’aventure en commun avec la manufacture Kenissi, il me semble que l’avenir est plutôt radieux !
Merci de m’avoir lu!